Quant à notre pionnier, le Révérend Jean Eracle (dont je pense qu’il est très profitable de rappeler fréquemment les consignes qu’il transmit à la naissante communauté de la Véritable École de la Terre Pure européenne, de même que le Révérend Harry Pieper le fit préalablement), je lui suis profondément reconnaissant pour la transmission qu’il me fit de l’enseignement et de la pratique de la Véritable École de la Terre Pure alors que j’étais tout juste âgé de vingt ans. L’excellence de son enseignement facilita ma compréhension de l’œuvre de René Guénon, entre autres, une œuvre que je n’ai pas eu le loisir d’étudier de façon systématique, en vérité.
Or ça, dans son ouvrage intitulé Le Révérend Harry Pieper et la propagation du Bouddhisme Shin en Europe, au chapitre 2 : « Le Révérend Harry Pieper et l’organisation des Communautés Européennes Jôdo-Shinshû » (Projet d’article pour 1979), en pages 17 et suivantes, le Révérend Eracle écrit :
I. « En abordant cette préoccupation essentielle du Révérend Pieper, il est tout d’abord nécessaire de préciser […] qu’il manifestait un respect profondément religieux et une vive affection à l’égard de son Eminence Kôshò Ohtani, le Monshu aujourd’hui retiré (Zenmon).[…] Par contre, le Révérend Pieper montrait beaucoup moins d’enthousiasme pour les rouages administratifs du Honpa-Honganji, qu’il considérait comme peu au courant de la mentalité européenne et encore moins conscients des problèmes rencontrés par ceux qui, en Occident, veulent transmettre le Nemboutsou.[…] L’organisation qu’il avait fondée était envisagée par lui comme totalement indépendante de l’administration du Honpa-Honganji […] Évidemment, cela ne supposait ni rupture, ni animosité, mais des rapports très souples et tout spirituels avec le Temple-Mère, rapport fondés principalement sur un sentiment de profonde reconnaissance pour la transmission du Dharma. […] Notre organisation est autonome et indépendante : elle marche sur ses deux pieds. » […] Cette organisation, il ne la voyait pas comme un système hiérarchique rigide, quasi militaire, mais plutôt comme une fédération très souple de groupements linguistique, voir nationaux…
II. Dans l’esprit du Révérend Pieper, l’indépendance des Communauté Européennes Jôdo-Shinshû devait se manifester en deux domaines : 1°, dans celui du rituel et de la manière de présenter l’enseignement, 2°, dans celui des ordinations et donc de la préparation des bonzes, étroitement lié au précédent. […] « Mais voici encore une fois une instruction (que je vous donne et qui correspond à) une instruction expresse du Patriarche : Nous montrons l’Enseignement de l’Illuminé d’après les instructions de Shinran Shônin…et rien d’autre ! Et avant tout, pas de japonisme ! […] L’administration japonaise de Kyoto n’a rien à faire d’autre que de favoriser la Doctrine. C’est tout ce qu’ils ont fait dans le passé, et nous les en remercions. C’est tout. Excusez cette lettre : je crois qu’elle est terrible ! Mais je vais l’expédier, pour que vous ayez une réponse que, je l’espère, vous comprendrez. »
III. De la manière de célébrer publiquement le Nemboutsou et de présenter l’enseignement de Shinran Shônin découlent tout naturellement les principes de la formation des bonzes et la question de l’ordination. […] Si l’on admet, avec le Révérend Pieper, que le Dharma doit être annoncé en Europe « à l’européenne » et le Nemboutsou célébré selon un rituel adapté à l’Occident, on voit que la formation des bonzes européens à Kyoto constitue un non-sens. […] À vrai dire, j’avais été moi-même touché par ce problème. J’avais en effet déclaré dès le début au Révérend Pieper mon désir de propager le Nemboutsou en qualité de bonze. […] Il m’avait répondu : « Il y a pour vous deux possibilités : ou bien vous allez une année aux études à l’Université de Ryûkoku à Kyoto, et dans ce cas, je vous ferai obtenir une bourse ; ou bien vous pouvez recevoir, par mon intermédiaire, une ordination européenne. Dans votre cas, étant donné vos connaissances, cette deuxième solution ne cause pas de problème ». […] Quelques temps après, le Révérend Pieper m’écrivit ceci : « J’ai reçu des nouvelles de Kyoto : le Patriarche est d’avis qu’il faut vous ordonner ; dans ce but, il m’envoie une robe du Dharma noire et un Kesa (étole) pour vous. […] Bien plus tard, le Révérend Pieper devait revenir sur mon ordination, me disant dans sa lettre du 25 juin 1976 : « Quant au certificat d’ordination que vous avez reçu, c’est un certificat de la Communauté Européenne Jôdo-Shinshû : c’est naturel ; cependant, vous savez et avez fait l’expérience qu’il est reconnu (à Kyoto). Cela, c’est pour construire une hiérarchie européenne libre de tout japonisme. C’est tout. Enfin… il n’y a pas d’autre chose. […] Mais maintenant, voici ce que m’a dit aussi le Monshu au sujet de l’Ordre du Lotus Blanc : « vous êtes libre de le former et il vaut mieux le former sans le contrôle du Honpa-Honganji ». C’est ce qu’il m’a dit. Dites ! Établissez-le, et il existera et il sera reconnu par le Monshu. C’est tout ». […] La pensée du Révérend était, comme on le voit, très nette. Malheureusement, n’ayant pas pu encore créer le centre Jôdo-Shinshû de Genève, je ne me suis pas encore senti autorisé à fonder l’Ordre du Lotus Blanc. Cependant, à l’heure qu’il est, l’aurore semble pointer à l’horizon. Quand le moment sera venu, peut être pourrons-nous réaliser de tels projets qui tenaient à cœur à notre cher « Modérateur » : nous lui en dédierons alors la réalisation comme un ultime hommage à sa mémoire ».
Cet ultime hommage lui fut rendu : Le Centre Culturel Bouddhiste Jôdo-Shinshû Harry Pieper (Myôjun-Ji) a été fondé l’année 2000, à Montpreveyres, près de Lausanne.